Spectacle et pandémie?
Ce spectacle représente beaucoup : la persévérance de la programmation à travers deux années marquées par moult annulations et reports ; la pugnacité de jeunes artistes qui ont vu croître le succès de leur pièce… sans avoir alors le bonheur de la jouer ; et, principal enseignement à retenir d’In Solidum, une écriture, une scénographie et une interprétation de haute qualité mobilisées pour nous raconter une histoire d’aujourd’hui, qui parle de notre conscience citoyenne face à internet et au numérique, devenus incontournables.
De quoi inspirer notre dernière édition, papier, du Pavé… journal que vous retrouvez maintenant sur le net.
Les comédiens, qui ont grandi dans les années 90, ont réussi à créer une histoire intergénérationnelle.
La pièce radiographie notre société à l’heure où coexistent des personnes qui ont dû apprendre à dompter l’outil internet et d’autres qui sont nées avec. “Des personnes ayant une expérience si différente de l’informatique et du web peuvent se trouver par hasard sur des médias sociaux, et même discuter sur un forum.” La pièce est surtout un récit intemporel sur l’amitié, fût-elle écrite à l’heure virtuelle. Des thèmes comme l’amour, le travail, la globalisation se fondent dans une histoire captivante.
Arnaque sentimentale
«Tout avait disparu. Même les grillons avaient fermé leur gueule. Et nous cinq, nous ne parlions plus. On se tenait les uns les autres par la transpiration face à cette connerie ma- gnifique. Les mains sur les épaules comme une équipe de rugby.» (extrait). Un groupe de jeunes hommes est condamné à une dette colossale pour rembourser «in solidum» les dégâts d’une soirée de folie. Leur pseudo-solution ? Via le net, faire miroiter l’idylle à des personnes plutôt argentées et en mal d’amour. Ils en arrivent à se rêver en véritables Robin des Bois de la redistribution contemporaine. Et ces cinq gueules d’anges, victimes d’un moment d’erreur dans leur jeunesse, se transforment en prédateurs ! Tout s’accélère. Ils fondent un business avec des méthodes qui s’affinent, des cibles qui se multiplient et un bureau qu’ils baptisent «The Office». A mesure que prospère leur petite entreprise, ils s’isolent de toute relation extérieure, se déconnectent de toute réalité humaine, transgressent les règles qu’ils avaient établies… jusqu’à la disparition, pour certains, de toute forme de morale. «In Solidum» a été reconnu fin 2020 à Bruxelles spectacle «d’utilité publique». Ce label récompense depuis 2015 des pièces de théâtre de qualité révélatrices d’enjeux actuels et capables d’attirer différents publics à la culture et de créer des débats. «In Solidum» aborde des questions d’autant plus pertinentes qu’avec la crise sanitaire nombre de gens se retrouvent reclus derrière des écrans et sont confrontés à la cyber- criminalité. Notons qu’en 2019 un autre spectacle aux racines lessinoises a reçu cette reconnaissance : il s’agit du spectacle «#Vu» de la cie Arts nomades, basée à Bois-de-Lessines.
Le fruit de résidences à Lessines et Bruxelles
La pièce a été créée par des jeunes comédiens qui, parallèlement à leurs études, veulent s’engager dans la vie théâtrale et créer une histoire de notre époque, «qui nous concerne». Une esquisse d’«In Solidum» est présentée entre autres au LookIn’Out à Schaerbeek, festival de pro- jets en leurs prémices que co-organisent le BAMP, le Théâtre 140 et Ad. Lib. Un début de parcours qui les amène au théâtre des Riches-Claires… Le collectif y est invité à jouer dans le cadre du Lundi-théâtre, cycle offrant une visibilité aux spectacles jeunes et novateurs (créé par l’humoriste Marion et organisé tout un temps au Botanique). A septante ans, Marion a souhaité passer le relais. Les Riches- Claires reprennent en 2011 le Lundi-Théâtre sous leur aile. Le lieu bruxellois a fait du soutien aux jeunes compagnies sa vocation. Le Centre culturel de Lessines a d’ailleurs entamé une collaboration avec le théâtre des Riches-Claires en vue de soutenir des projets de théâtre en commun et de mutualiser les efforts en faveur de jeunes compagnies. «In Solidum» représente ces premières synergies. Créer une pièce réclame du temps, des espaces (une grande partie du travail se fait sur une scène), de l’accompagnement, des moyens, des perspectives de programmation… Les périodes de résidence sont ainsi des étapes précieuses dans la vie des compagnies. Les jeunes comédiens d’In Solidum” sont ainsi venus mettre au point leur spectacle à Lessines, du 1er au 9 février 2020. Des journalistes de No Télé et de L’Avenir Wallonie picarde les ont rencontrés le temps d’un reportage. La première du spectacle, huit jours plus tard aux Riches-Claires, a “été un carton” explique le comédien et directeur Eric De Staercke. Siam De Muylder, Manoël Dupont, Arthur Goldberg, Jérémy Lamblot et Léopold Terlinden – rejoints par Ha- bib Ben Tanfous – sont restés soudés quels que soient les événements ou l’évolution de leur carrière personnelle (Léopold est entre autres assistant et comédien de Dominique Serron pour “Désir, Terre et Sang” (Lorca d’après les Baladins du Miroir) ; Jérémy joue avec la cie Ô Mon amour ; etc.).
L’aventure d’une jeune compagnie pendant la pandémie
«In Solidum» était prévu à Lessines le 21 mars 2020, pour fêter le printemps avec la nouvelle génération de comédiens et leur pièce plus que prometteuse. Ce fut le premier spectacle, en théâtre, à être annulé à Lessines à cause du coronavirus.
Tout avait pourtant commencé magnifique- ment : le 17 février 2020, quelques jours après leur résidence artistique dans la cité Magritte, les jeunes artistes dévoilent leur création au théâtre des Riches-Claires… Un rendez-vous décisif : le théâtre Poche achète trois semaines de représentation (une programmation hautement symbolique pour un premier projet). Mais les comédiens ne pourront pas savourer tout de suite leur reconnaissance avec le public. Annulations, quarantaines, confinements, protocoles : des mots devenus monnaie courante depuis la conférence de presse du Gouvernement fédéral, le soir du 12 mars 2020. Malgré une tournée condamnée, le succès de la pièce continue sur sa lancée : elle décroche le label d’utilité “publique”. Deux ans plus tard que la date initiale, le report d’«In Solidum» est annoncé à Lessines (le dimanche 13 février 2022 à 17h30 (le lundi 14, à 10h30, en séance scolaire). Une information à lire avec la réserve qui nous est devenue coutumière : “sauf autres mesures sanitaires et raisons indépendantes de notre volonté…” Mais l’on semble proche du but attendu par l’équipe du Centre culturel René Magritte : pouvoir partager avec le public cette pièce en partie préparée sur les planches du théâtre Jean-Claude Drouot et qui reste, quelle que soit l’année, un coup de coeur!
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