Mon grand-père aurait aimé jouer d’un instrument. Est-ce pour cette raison qu’il m’offrit un piano, ce qui m’obligea à apprendre le solfège et à subir les cours de pratique donnés par un vieux professeur souffrant d’hypertension, qui s’endormait dès que j’interprétais le premier mouvement de la partition laborieusement étudiée. De l’entrainement, un peu chaque jour, me répétait-elle (car c’était une dame). Difficile lorsque l’on a dix ans et que l’on ne songe qu’à rejoindre la bande de copines qui vociférait allégrement devant la maison. Pour mon grand-père, la musique était un langage universel commun à tous les peuples. Avec ce «laissez-passer», on pouvait aller partout, et que vous soyez en Chine ou en Amérique, tout le monde vous comprenait si vous étiez musicien.
A l’époque, je dois l’avouer, ces cours de musique me tapaient sur les nerfs. Mais par crainte de l’attrister, j’apprenais chaque semaine mes leçons et soupirais d’aise dès que la porte d’entrée se refermait sur la vieille dame très digne qui repartait heureuse de m’avoir enseigné un peu de son savoir musical. Les études, quelques années plus tard, m’obligèrent à abandonner, mais pas à me défaire de ce joli piano. Bien des années sont passées, et je dois avouer que la musique m’accompagne tous les jours. Le matin, lorsque je me lève, dans ma voiture, au travail, sur mon ordinateur, lors des émissions de radio, pendant mes loisirs. Fidèle compagne, elle vit au travers des notes, qu’elle envoie enjoliver ma vie, amenuiser mes états d’âme, soulager ma peine quelque fois. Que ce soit le rock, le blues, le jazz, la variété, le classique, j’ai peu à peu appris à aimer les différences, à apprendre la tolérance d’autres goûts musicaux, à connaître d’autres cultures au travers des pages musicales. Toutes ces sonorités ne sont-elles pas comme des langue étrangères qui permettent d’aller vers l’autre sans aprioris, avec le simple souhait de rencontrer la culture de celui qui la dispense à chaque note jouée. Finies les frontières absurdes destinées à enclaver tel ou tel style, tel tempo. Ouvrons notre coeur aux différences et nos oreilles aux répertoires multiples de la musique et de l’âme. Mais la musique n’est pas restrictive, elle est partout. Dans le chant d’un oiseau, dans le souffle du vent, dans le bruissement des feuillages, dans le battement silencieux de notre sang, dans le sourire timide de nos émois. Cette musique est celle de la vie. Celle qui mérite le respect de tous ceux qui la jouent et qui veulent la transmettre, un peu comme le souvenir de mon grand-père que je vous ai couché sur le papier par l’entremise de cet article. Mon grand-père était un homme simple, bon et généreux mais il avait compris que le chant des notes était la possibilité que nous avons tous à aller vers les autres, tout en gardant nos caractéristiques. Et rien que pour cela, je pense que ce soir, je me mettrai au piano pour lui rendre hommage.
Cathy MARCHAND – Van den DAËLE