Illustre à cause de l’importance de ses oeuvres, Gilles de Lessines n’en reste pas moins largement un inconnu pour les historiens.
Moine dominicain et bachelier en théologie de l’Université de Paris, il est également philosophe, mathématicien, économiste, astronome et historien. Etroitement lié aux deux sommités intellectuelles de son époque : Thomas d’Aquin et Albert le Grand, leurs idées découlent de la pensée d’Aristote.
Les enseignements de Thomas d’Aquin sont critiqués. La Faculté des Arts traverse une crise particulièrement grave. Gilles de Lessines prend fait et cause pour Thomas d’Aquin en adressant à Albert le Grand, une consultation sur un ensemble de points controversés tandis que la réponse d’Albert le Grand prend la forme de son traité sur les quinze problèmes soulevés. Le 10 décembre 1270, les treize propositions averroïstes défendues par Siger de Brabant, sur lesquelles portaient la consultation de Gilles de Lessines, sont condamnées par l’Evêque de Paris, Etienne Tempier. Il est suivi le 18 mars 1277 par l’Archevêque de Canterbury, Robert Kilwardby, qui interdit à l’Université d’Oxford l’enseignement d’une trentaine de thèses, dont plusieurs relèvent de la doctrine de Thomas d’Aquin, en particulier sa théorie de l’unité des formes substantielles. L’affaire fait du bruit.
Dans la foulée, Gilles de Lessines se lance dans la réaction de son traité sur l’unité des formes. Il n’hésite pas à contredire à la fois le primat de l’épiscopat anglais et un supérieur de son ordre. Cet ouvrage soulève quelques incompréhensions, car il paraît pouvoir appuyer la thèse de la pluralité des formes substantielles. Cette doctrine caractérise la pensée scolastique traditionnelle, défendue par les adversaires du thomisme. Une telle ambiguïté conduit Gilles de Lessines à rédiger un supplément explicatif qui sera joint à l’ouvrage principal.
Si ses oeuvres nous sont parvenues en nombre limité, elles n’en témoignent pas moins d’un immense savoir scientifique.
Souvent attribué à tort à Thomas d’Aquin, son traité sur l’usure fait figure de véritable précis d’économie politique. On y trouve des idées très modernes pour son époque. Il y parle de la manière de déterminer le juste prix dans les relations commerciales en fonction de deux ensembles de critères décisifs fondés, d’une part, sur la valeur du travail et, d’autre part, sur les autres coûts de production. Bref, il y est question de définir l’éthique du mercantilisme.
La plus savante compilation doctrinale occidentale sur les mouvements des comètes se trouve dans un autre traité de Gilles de Lessines, enrichie par ses propres observations du phénomène survenu en 1264. Plutôt que des prodiges, les comètes constituent pour lui des phénomènes naturels qui peuvent être prédits par des moyens astrologiques, en repérant les conjonctions des planètes.
Gilles de Lessines a rédigé plusieurs autres ouvrages d’astronomie, en particulier un traité sur le crépuscule. Il y parle du soleil, de la lune et des étoiles, de l’éther et des phénomènes splendides qui apparaissent à l’horizon au début et à la fin de la journée, sur terre et sur mer.
Son traité sur la concordance des temps est le plus étendu et le plus important de ses ouvrages. Lisant les saintes écritures, il remarque trop de divergences et d’imprécisions sur les dates et les périodes, même parmi les historiens authentiques. Pour rétablir la vérité, il examine la chronologie antérieure et postérieure à Jésus-Christ. S’appuyant sur les astronomes arabes, il envisage les éclipses comme le plus sûr moyen de reconnaissance pour marquer le cours du temps. Il s’attache à appliquer de nombreuses dates aux noms des papes, des empereurs, des rois et aux événements mémorables, en décrivant les cycles usuels. Les derniers feuillets de son manuscrit sont préparés jusqu’en 1325, mais le dernier fait historique noté est la victoire du Roi de France, Philippe IV dit « le Bel » sur l’armée flamande, à Mons-en-Pévèle, le 18 août 1304. Ainsi a-t-on supposé que Gilles de Lessines était mort cette année-là…