A l’heure où les politiques menées pendant plusieurs décennies scellent une séparation nette et tranchée entre le nord et le sud du pays, les citoyens, eux, rétablissent petit à petit du lien, de manière organique, et gomment les frontières. Et la culture est un des vecteurs de ce mécanisme.
Il y a un peu plus de cinquante ans, nos politiques traçaient la frontière linguistique. Celle-ci coupait en deux notre région, passant dans la campagne entre Grammont et Lessines. Ce n’était qu’une première étape vers une division profonde. Quand on sépare les partis politiques, les médias, l’enseignement, la culture, il ne faut pas s’étonner de l’avènement trente ans plus tard d’idées et de partis ultranationalistes. La Belgique est composée aujourd’hui de la juxtaposition de deux pays, dressés au fil des ans l’un contre l’autre.
Mais même avec un travail profond sur l’opinion publique, même avec un lavage de cerveaux organisé, les gens restent les gens. Et si on réussit à faire sortir la part la plus sombre de certains d’entre eux, les envies, les aspirations et les choix de la majorité des autres permettent un retour de balancier et le rétablissement de contacts. La culture est un vecteur de ce mouvement tout naturel.
Et un des premiers endroits où cela émerge, c’est la musique. Tout le monde le sait, Lessines accueille des concerts importants depuis un peu plus de dix ans. Cela se traduit par des concerts réguliers, un festival rock, le Roots & Roses chaque 1er mai, un festival de musique de chambre, les Sons Intensifs et de gros concerts en été comme Adamo, Joan Baez ou encore Hooverphonic ces dernières années.
La mixité communautaire est de plus en palpable lors de ces rendez-vous. Les néerlandophones les fréquentent en masse. Et parmi ces néerlandophones, beaucoup d’ailleurs sont lessinois.
On remarque aujourd’hui que ces chemins tracés grâce à la musique s’élargissent à d’autres domaines. Le théâtre voit ses portes s’ouvrir petit à petit à un public néerlandophone averti, avec une première expérience de spectacle surtitré en néerlandais en octobre dernier à l’occasion des deux représentations de My Dinner With André. Une balade contée bilingue, du Muur à Magritte, existe depuis quelques mois entre Lessines et Grammont. La mixité des groupes linguistiques apparait désormais dans le public des ateliers du centre culturel.
Et aboutissement — provisoire — de cette métamorphose lente et salutaire, des partenariats naissent aujourd’hui de manière très officielle entre Lessines et des opérateurs culturels flamands : avec le Koleuren Festival et l’office du tourisme de Grammont ou encore avec De Kreun Kortrijk, 4AD Dixmuide et Ieper Fest dans le cadre d’un projet européen INTERREG, DEMO, qui unit des opérateurs culturels spécialisés en musiques. Un nouveau partenariat avec le Vooruit est même sur les rails. L’importance de ces partenariats n’est pas que symbolique. Elle vise à améliorer la circulation des idées, des pratiques, des artistes et des gens indépendamment des frontières arbitraires. Bref à rétablir de l’intelligence et de la citoyenneté.
De beaux concerts vous attendent dans ces prochains mois à Lessines. Et sachez-le, depuis plus de dix ans, ils aident à briser les frontières…
Jef Delvin et Fred Maréchal