Agnès et Sébastien - Le Pavé

Agnès et Sébastien

Novembre. Il fait froid. Agnès n’a pas envie de bouger de la paillasse sur laquelle elle est étendue. La jeune fille pense à la soirée d’hier. Elle pense à Sébastien, à la douceur de son regard lorsqu’il s’est posé sur elle. Depuis quelques mois, sa mère a réussi à l’introduire auprès des nobles de la région et la jeune fille nettoie le linge, drape de toile fine les lits des élus, lave la vaisselle de ses mains agiles. Agnès a seize ans, elle est jeune, belle sous ses cheveux noirs et bouclés. Sa taille est fine et ses gestes précis. Elle n’a pas encore conscience du trouble qu’elle occasionne auprès des hommes, lorsqu’elle passe à grands pas dans les ruelles de la ville pour se rendre au marché. Sa famille a dû batailler dur pour essayer de manger tous les jours durant le siège de la ville. Chaque jour est une lutte sans merci face aux renégats. La peur au ventre, sa famille tente de subsister, ne pensant pas à la faim qui tiraille les estomacs, trouble la vue et fait trembler les membres. Agnès fonce tête baissée, dès le lever du soleil, accomplissant ses tâches. Elle pense à l’avenir, l’imaginant beau et chaud, comme le soleil qui baigne la Dendre, en été. La soupe est frugale mais personne ne dit mot. 

La première fois qu’elle le vit, il passa devant elle sans l’apercevoir dans un premier temps. Entourés par quelques compagnons, elle faillit, sous leur empressement à le suivre, perdre le panier de pommes qu’elle portait. Lui seul se retourna et la retint de tomber. -»Merci»- lui avait-elle dit rougissante. Il avait souri, lui aussi, sans prononcer un mot. Et puis, s’en était allé. Quelques mois plus tard, alors que Lessines tremblait sous l’occupant, il avait décidé de prendre les choses en main, et grâce à une stratégie de guerre, Sébastien avait réussi à les libérer du jouc du mal. Ce matin là, Agnès avait enrubanné la petite statue de Notre Dame sur le rempart. Elle était là aussi, quand Sébastien remit son épée aux pieds de la très Sainte Dame en la remerciement de son soutien dans la bataille. Il y eut un festin. Il fallait abreuver et nourrir les hommes. Agnès, sa mère et quelques voisines approvisionnaient les tables et les gobelets. On y joua de la musique et beaucoup dansèrent. Emerveillée par le spectacle, elle ne le vit pas s’avancer. -»Voulez-vous m’accompagner dans la ronde ?»- lui demanda-t-il, la faisant sursauter. -»Non, non, je ne peux pas, Messire !»- lui répondit-elle.  Mais sans entendre sa réponse, il l’avait débarrassée de son plateau et emportée avec lui autour des tables. Agnès souriait, heureuse. Elle en cuirait, tout à l’heure, pour sûr, sa mère la giflerait d’avoir osé… Mais le moment était trop agréable pour qu’elle y prête importance. La musique s’arrêta, Sébastien lui fit un baisemain en la remerciant et se détourna d’elle. La damoiselle ne devait jamais oublier ce moment magique. Contre toute attente, sa mère ne la gronda pas. -»Ne t’imagine rien de plus, ma fille !»- lui souffla-t-elle à l’oreille. Comme elle avait raison… Sébastien partit bientôt et ne revint que plus tard, marié à une belle dame. Agnès reprit le cours de sa vie et, elle se maria à Henri, le fils du maréchal ferrant. Elle eut des enfants. Et la vie passa… On parle aujourd’hui d’une petite boite en argent retrouvée dans les ruines de la maison de Sébastien de Tramasure. Ceux qui l’y trouvèrent, se posent la question de savoir, à qui a appartenu cette mèche de cheveux noirs et bouclés qu’ils y découvrirent. Ils y touchèrent à peine et celle-ci s’effrita. Le temps ayant fait son oeuvre. Dans le vieux cimetière, il n’y a pas de tombe au nom d’Agnès, elle repose là, quelque part. Le temps blanchissant ses os. Pourtant, dans le secret de son tombeau, une autre petite boîte en argent, du même genre que l’autre découverte, y recèle un secret : deux initiales s’entrecroisent sur un bout de parchemin : un A et un S. Comme preuve d’un amour infini que rien de séparera, même pas la mémoire des hommes…

(Cette histoire est fictive. Elle ne se veut nullement historique. Elle respecte la très noble famille TRAMASURE et  ses descendants)